Au cours de ces deux premières décennies du nouveau siècle, certains philosophes se sont penchés sur les idées et les ambitions qui animaient le projet originaire d’une Théorie critique de la société et ont essayé de reformuler et de renouveler ce corpus théorique en fonction des exigences de notre temps. Une piste de recherche intéressante est ouverte par Amy Allen et Rocío Zambrana : c’est l’approche décoloniale de la théorie critique. Amy Allen met en évidence les limites de la théorie critique francfortoise du fait qu’elle épouse les contours des stratégies euro-centriques pour fonder la normativité. Se réclamant des travaux des decolonial thinkers, Rocío Zambrana remet en question l’hypothèse selon laquelle la rationalité prend appui sur une logique homogène et la modernité peut être comprise comme un développement unique et cohérent ; ainsi elle remarque que les critiques de la modernité élaborées au sein de la tradition libérale et celles de la tradition marxiste adoptent une perspective euro-centrique. En effet, selon les penseurs décoloniaux (Dussel, Quijano, Mignolo, Castro-Gómez, etc.), ces critiques de la modernité n’ont pas vraiment remis en cause l’horizon colonial de compréhension à partir duquel se sont constitués les subjectivités ainsi que l’imaginaire et les narrations dominantes des temps modernes. Ainsi, en cette année du centenaire de la création de l’Institut für Sozialforschung (1923) et du cinquantenaire de la mort de Max Horkheimer (1973), les défis, les contradictions et les pathologies de notre temps nous poussent à revenir sur le projet de la Théorie critique des années 1930 pour renouveler son analyse du potentiel régressif de la modernité, établir le rôle de la critique face à la vitalité du capitalisme contemporain, nous interroger sur le rapport entre la première École de Francfort et le passé colonial de l’Europe et mettre notamment la pensée et le projet horkheimeriens des années 1930 à l’épreuve de la pensée décoloniale. Force est alors de se demander : dans quel sens une perspective décoloniale exigerait-elle que le travail des penseurs européens en général, et des théoriciens critiques de la première génération en particulier, soit substitué, complété ou transformé par des perspectives non-européennes ? Laquelle de ces alternatives serait-t-elle la plus appropriée pour repenser d’une manière non-eurocentrique la critique féroce de la modernité et de la rationalité développée par Horkheimer et ses collègues ?

Horkheimer à l'épreuve de la pensée décoloniale / Carbone, Raffaele. - (2023). (Intervento presentato al convegno Avant le crépuscule. Réinterroger Horkheimer et l’histoire de l’École de Francfort tenutosi a Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne nel 14-15 giugno 2023).

Horkheimer à l'épreuve de la pensée décoloniale

Raffaele Carbone
2023

Abstract

Au cours de ces deux premières décennies du nouveau siècle, certains philosophes se sont penchés sur les idées et les ambitions qui animaient le projet originaire d’une Théorie critique de la société et ont essayé de reformuler et de renouveler ce corpus théorique en fonction des exigences de notre temps. Une piste de recherche intéressante est ouverte par Amy Allen et Rocío Zambrana : c’est l’approche décoloniale de la théorie critique. Amy Allen met en évidence les limites de la théorie critique francfortoise du fait qu’elle épouse les contours des stratégies euro-centriques pour fonder la normativité. Se réclamant des travaux des decolonial thinkers, Rocío Zambrana remet en question l’hypothèse selon laquelle la rationalité prend appui sur une logique homogène et la modernité peut être comprise comme un développement unique et cohérent ; ainsi elle remarque que les critiques de la modernité élaborées au sein de la tradition libérale et celles de la tradition marxiste adoptent une perspective euro-centrique. En effet, selon les penseurs décoloniaux (Dussel, Quijano, Mignolo, Castro-Gómez, etc.), ces critiques de la modernité n’ont pas vraiment remis en cause l’horizon colonial de compréhension à partir duquel se sont constitués les subjectivités ainsi que l’imaginaire et les narrations dominantes des temps modernes. Ainsi, en cette année du centenaire de la création de l’Institut für Sozialforschung (1923) et du cinquantenaire de la mort de Max Horkheimer (1973), les défis, les contradictions et les pathologies de notre temps nous poussent à revenir sur le projet de la Théorie critique des années 1930 pour renouveler son analyse du potentiel régressif de la modernité, établir le rôle de la critique face à la vitalité du capitalisme contemporain, nous interroger sur le rapport entre la première École de Francfort et le passé colonial de l’Europe et mettre notamment la pensée et le projet horkheimeriens des années 1930 à l’épreuve de la pensée décoloniale. Force est alors de se demander : dans quel sens une perspective décoloniale exigerait-elle que le travail des penseurs européens en général, et des théoriciens critiques de la première génération en particulier, soit substitué, complété ou transformé par des perspectives non-européennes ? Laquelle de ces alternatives serait-t-elle la plus appropriée pour repenser d’une manière non-eurocentrique la critique féroce de la modernité et de la rationalité développée par Horkheimer et ses collègues ?
2023
Horkheimer à l'épreuve de la pensée décoloniale / Carbone, Raffaele. - (2023). (Intervento presentato al convegno Avant le crépuscule. Réinterroger Horkheimer et l’histoire de l’École de Francfort tenutosi a Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne nel 14-15 giugno 2023).
File in questo prodotto:
File Dimensione Formato  
Colloque_Horkheimer_14-15_juin_2023.pdf

accesso aperto

Descrizione: Poster
Tipologia: Altro materiale allegato
Licenza: Dominio pubblico
Dimensione 7.99 MB
Formato Adobe PDF
7.99 MB Adobe PDF Visualizza/Apri

I documenti in IRIS sono protetti da copyright e tutti i diritti sono riservati, salvo diversa indicazione.

Utilizza questo identificativo per citare o creare un link a questo documento: https://hdl.handle.net/11588/930851
Citazioni
  • ???jsp.display-item.citation.pmc??? ND
  • Scopus ND
  • ???jsp.display-item.citation.isi??? ND
social impact